Les bohémiens et l'accès au sacré
Le poème adopte une tonalité plus légère aux vers 9-10, introduisant l'image du grillon qui chante plus fort au passage des bohémiens. Cette figure peut être interprétée comme une nouvelle allégorie du poète, établissant une complicité mystérieuse entre les créatures marginales. Le "réduit sablonneux" évoque le spleen, cet enfermement existentiel qui oppresse.
La dimension sacrée des bohémiens s'affirme quand Baudelaire les présente comme "protégés de Cybèle", divinité de la nature. Cette protection divine confère au thème du voyage une dimension spirituelle et sacrée. Les vers 11-12 amplifient cette dimension miraculeuse par un parallélisme d'expression qui rappelle les miracles bibliques, notamment celui de Moïse.
La pointe finale du sonnet (vers 13-14) élargit la perspective vers un éloge vibrant des bohémiens et de leur pouvoir mystérieux. L'expression "pour lesquels est ouvert l'empire familier" suggère un accès privilégié à une réalité cachée. Les "ténèbres futurs" peuvent être interprétées de multiples façons : capacité prophétique, accès à l'au-delà, ou même pacte avec des puissances démoniaques.
Baudelaire établit ainsi une image ambiguë du poète à travers les bohémiens : êtres marginaux dotés d'un pouvoir énigmatique, ils ont accès à un monde sacré fermé au commun des mortels. Cette analyse linéaire de "Bohémiens en voyage" annonce la provocation de l'Hymne à la Beauté : "De Satan ou de Dieu qu'importe".
Astuce d'analyse : Remarquez comment Baudelaire utilise la structure du sonnet pour progresser de la représentation terrestre des bohémiens vers leur dimension spirituelle et mystique, à l'image du poète qui transforme le spleen en idéal.