La dimension sacrée et mystérieuse du poète-bohémien
Le deuxième quatrain apporte une tonalité plus légère avec l'image du grillon qui "chante plus fort en les voyant passer". Cette réaction de la nature face aux bohémiens suggère leur caractère sacré. Le grillon, depuis son "réduit sablonneux", devient lui-même une allégorie du poète dans sa fragilité.
Baudelaire élève les bohémiens au rang de protégés de Cybèle, déesse de la Terre et de la nature. Cette protection divine confère aux nomades une dimension sacrée qui renforce le parallèle avec la vocation poétique. La référence implicite à Moïse au vers 12 ("fait jaillir l'eau") évoque le miracle biblique, suggérant que le poète, comme le prophète, possède le pouvoir de faire surgir la beauté des lieux les plus arides.
La pointe finale du sonnet sublime la grandeur mystérieuse des bohémiens-poètes. Ces "voyageurs pour lesquels est ouvert l'empire familier des ténèbres futures" possèdent un don de voyance qui leur permet de déchiffrer l'avenir. Cette capacité à voir au-delà des apparences est précisément ce qui définit le poète baudelairien.
⚠️ L'ambiguïté des "ténèbres futures" est essentielle : elles peuvent désigner l'avenir, l'au-delà, ou même suggérer un pacte avec des puissances démoniaques.
Le voyage des Bohémiens se révèle finalement être un voyage spirituel, tout comme celui du poète dans "Les Fleurs du Mal". La conclusion énigmatique du poème annonce la posture provocante de Baudelaire dans "Hymne à la Beauté" : le pouvoir poétique puise sa force dans l'ambivalence même, entre ombre et lumière, entre Dieu et Satan.