Analyse lineaire Sido

Légende alternative :

n'y en aura plus, tu en achèteras d'autres. Il la regardait d'en bas, offensé et pâle sous ses cheveux noirs. - C'est pour toi, prends, insista ma mère. Il perdit le premier son sang-froid et éclata en larmes. - Mais... mais... je ne les aime pas ! sanglotait-il. << Sido »> se pencha, aussi attentive qu'au-dessus d'un ceuf fêlé par l'éclosion imminente, au-dessus d'une rose inconnue, d'un messager de l'autre hémisphère : - Tu ne les aimes pas ? Qu'est-ce que tu voulais donc ? Il fut imprudent et avoua: - Je voulais les demander. >> ¹ Aveignit: alla chercher. Explication linéaire 11: Colette, Sido, INTRODUCTION Présentation du parcours/auteur / œuvre Présentation de l'extrait Problématique Mouvements C'est en 1930 que Colette écrit Sido, récit autobiographique tournant autour des figures familiales que sont sa mère, son père, le Capitaine, et ses « sauvages >> de frères: Achille, son demi-frère, et Léopold dit << Léo »>, son aîné de 7 ans. Dans l'extrait que nous allons étudier, la narratrice évoque, avec humour et émotion, une anecdote de la petite enfance de Léopold, un caprice d'enfant. Lecture Comment Colette célèbre-t-elle la figure de sa mère, au travers d'une scène du quotidien entre un fils et une mère ? 1er mouvement (l. 1 à 10): Une scène de caprice racontée avec humour 2ème mouvement (l. 11 à 27): Un dénouement révélant la singularité de la personnalité de Sido. Développement 1er mouvement: Une scène de caprice racontée avec humour La première phrase de l'extrait constitue une Oui, un petit garçon si inoffensif qui n'exigeait transition avec le portrait fait auparavant de rien, sauf, un soir... son frère, Léo. Elle vient de le présenter comme un enfant prodige doué pour la musique, plein de fantaisie et d'imagination. Cette transition vise, cependant, de manière humoristique à venir nuancer ce portrait parfait du personnage. ✓ Adverbe d'affirmation « Oui » qui vient confirmer les dires précédents de la narratrice au sujet de son frère. ✓La perfection de l'enfant est également, une nouvelle fois, soulignée par la reprise de la périphrase élogieuse utilisée par Sido quelques lignes en amont de l'oeuvre : « un petit garçon si inoffensif qui n'exigeait rien ». Il apparaît ainsi aux yeux de sa mère comme un être à qui l'on « donnerait le Bon Dieu sans confession >> : my-oxford.com ✓ Nom « garçon » : rappel de son jeune âge amplifié par l'adjectif << petit; ✓ Adjectif soulignant son innocence renforcée par un adverbe d'intensité: « si inoffensif >> ; Proposition subordonnée relative explicative + négation soulignant le caractère plus que facile à vivre de Léo : « qui n'exigeait rien >>. ✓ Mais la narratrice tient, non sans humour, à nuancer ce portrait élogieux avec la négation lexicale << sauf » et va s'y atteler dans la suite de l'extrait. ✓ Emploi du groupe nominal « un soir » exprimant une circonstance temporelle : récit d'une anecdote à venir. ✓ Emploi des points de suspension : création chez le lecteur d'une attente presque insoutenable. La narratrice se rit autant de Léo que de son propre lectorat. L'anecdote racontée par la narratrice débute par un dialogue entre Léo, enfant, et Sido. -Je voudrais deux sous de pruneaux et deux sous de noisettes, dit-il - Les épiceries sont fermées, répondit ma mère. Dors, tu en auras demain. ✓ Séquence dialoguée: le lecteur devient un témoin direct de la scène entre les deux protagonistes. ✓ Demande de l'enfant avec le recours au conditionnel « je voudrais » qui émet une nuance de politesse. ✓ Réponse de Sido plutôt pragmatique : mise en avant de la situation due à l'heure tardive (« les épiceries sont fermées »>) + encouragement à s'endormir exprimé par l'impératif << dors »>. ✓ Utilisation d'un futur catégorique « tu en auras » et mention de l'adverbe de temps << demain >> : sorte de promesse faite par Sido afin d'obtenir l'assentiment de Léo. Cela pourrait régler le problème mais Sido oublie une chose : qui se chargera d'acquérir ces pruneaux et ces noisettes ? L'enfant n'ayant pas obtenu satisfaction réitère alors sa demande le lendemain entraînant alors sous de noisettes, redemanda, le lendemain soir, - Je voudrais deux sous de pruneaux et deux l'agacement de Sido. le doux petit garçon. - Et pourquoi ne les as-tu pas achetés dans la journée ? se récria ma mère impatientée. Va te coucher ! Demande réitérée à l'identique par l'enfant : même formulation + utilisation du verbe à préfixe répétitif << redemanda »>. Demande de l'enfant qui commence à prendre la forme d'une sorte de scie accentuée par l'effet comique de la périphrase affective << le doux petit garçon » qui entre en contradiction avec l'attitude de l'enfant. ✓ Réaction agacée de la mère: phrase interrogative en guise de réponse (culpabilisation de l'enfant par la mère avec le « tu » sujet du verbe « as achetés ». Mise en avant de la responsabilité de l'enfant pour cacher le manque de précision de l'information donnée la veille par la mère) + verbe « se récria » + adjectif « impatientée »> = montre l'agacement de Sido. ✓ Exaspération évidente de la mère : emploi de l'impératif à valeur d'ordre «< Va te coucher ! >> qui s'oppose au précédent « Dors » à valeur de conseil. La narratrice repasse à une séquence de récit afin de souligner la répétition du rituel mis en place par l'enfant et le comportement stoïque de la mère face à celui-ci. Cinq soirs, dix soirs ramenèrent la même taquinerie, et ma mère montra qu'elle était une mère singulière. Car elle ne fessa pas l'obstiné, qui espérait peut-être qu'on le fesserait, ou qui escomptait seulement une explosion maternelle, les cris des nerfs à bout, les malédictions, un nocturne tumulte qui retarderait le coucher... ✓ Elle effectue un sommaire2 (« cinq soirs, dix soirs ») afin d'insister encore sur la détermination de l'enfant à obtenir ce qu'il réclame. ✓ Cependant, la narratrice passe du simple récit à l'analyse du comportement de Léo. En effet, utilisation du terme « taquinerie » qui souligne que l'attitude de Léo n'est pas innocente et montre sa véritable intention : se jouer de sa mère. Notion de caprice avec la périphrase << l'obstiné »>. ✓ Cependant, face à cette attitude, Colette analyse également la réaction de sa mère qu'elle qualifie de «< mère singulière ». Elle souligne que celle-ci ne va finalement pas réagir comme on pourrait l'attendre à travers le verbe à la forme négative: << elle ne fessa pas ». ✓ Face à cette absence de réaction attendue, la narratrice essaye de comprendre (modalisateur << peut-être ») les motivations de son frère à travers une gradation ascendante soulignant les supposées étapes du plan envisagé par Léo : « une explosion maternelle »>, << les cris de nerfs à bout », « les malédictions », « un nocturne tumulte >>. ✓ Disproportion plutôt comique entre les moyens employés et le résultat attendu qui, finalement, s'avère assez commun: << retarder le coucher ». Souligne le côté très enfantin de Léo qui veut tout simplement garder le plus longtemps possible sa mère auprès de lui. 2 En narratologie, un sommaire est une séquence textuelle dans laquelle une partie de l'histoire est résumée, ce qui procure un effet d'accélération du récit mais aussi, comme ici, une idée de répétition. ✓ Présence des points de suspension: souligne par le suspens qu'ils vont engendrer un tournant dans cette histoire. 2* mouvement: Un dénouement révélant la singularité de la personnalité de Sido. Le plan de Léo commence à se fissurer car Sido Un soir après d'autres soirs, il prépara sa figure finit par anticiper les désirs de son fils. quotidienne d'enfant buté, le son modéré de sa voix ! - Maman ?... - Oui, dit Maman. - Maman, je voudrais... - Les voici, dit-elle. ✓ Impression d'un moment fatidique: opposition « un soir »> /« après d'autres soirs »>. Souligne l'importance du moment et son unicité grâce à l'article indéfini << un »>. ✓ Rappel du lien affectif existant entre les deux protagonistes: << Maman»>. Narratrice qui souligne une fois encore que ce caprice n'est en rien malveillant. C'est un jeu mis en œuvre par l'enfant. Jeu souligné également par l'idée de représentation théâtrale à travers la préparation de Léo (« il prépara sa figure quotidienne d'enfant buté, le son de sa voix »>) avant d'entrer en scène. Scène racontée sous forme de dialogues rappelant là encore l'idée du théâtre. ✓ Interruption de la requête habituelle de l'enfant par la mère soulignée par les points de suspension : << Maman, je voudrais... >> Réponse brève de la mère: « Les voici ». Empressement de celle-ci à satisfaire sa progéniture. Elle devance ainsi son désir. Sido joint alors à la parole le geste afin de satisfaire pleinement son fils tant aimé. Elle se leva, aveignit dans l'insondable placard, près de la cheminée, deux sacs grands comme des nouveau-nés, les posa à terre de chaque côté de son petit garçon, et ajouta : - Quand il n'y en aura plus, tu en achèteras d'autres. ✓ Enchaînement de verbes d'action : << se leva, aveignit... posa »>. Rapidité à exaucer le souhait du fils. Générosité de la mère et preuve de son affection avec la comparaison « grands comme des nouveau-nés » (taille disproportionnée des sacs). Parallélisme à faire avec l'expression << son petit garçon » (déterminant possessif à valeur affective + emploi du nom « garçon >> soulignant la jeunesse de celui-ci). ✓ Impression d'une cérémonie visant à honorer l'enfant. Place des sacs : « de chaque côté de son petit garçon » + idée d'abondance soulignée par la promesse faite « Quand il n'y en aura plus, tu en achèteras d'autre»> (futur à valeur catégorique). ✔ Cependant, nuance montrant que Sido reprend le dessus sur son fils: responsabilisation de l'enfant avec le «< tu en achèteras d'autres ». Sido s'arrange pour ne plus être prise en défaut à la différence du début du texte. La demande n'aura plus lieu d'être puisque sa réalisation dépendra désormais de Léo. L'attitude de Léo révèle qu'il perd peu à peu son aplomb face à sa mère. Il la regardait d'en bas, offensé et pâle sous ses cheveux noirs. ✓ Infériorité de l'enfant du point de vue de sa position physique : « d'en bas »>. ✓ Emploi de l'adjectif « offensé » : idée d'un affront que lui fait subir sa mère. ✓ Adjectif << pâle » (renforcé par le contraste avec l'adjectif « noirs »>): souligne, du point de vue physique, sa déstabilisation. La narratrice s'amuse en retardant la chute de soulignant anecdote l'incompréhension de la mère. et en Sido ne comprenant pas l'hésitation de son fils, elle va se montrer plus directive: ✓ Tournure présentative mettant en avant l'exclusivité du geste accordée à son fils : « C'est pour toi »>. Insistance encore une fois sur la valeur affective du geste. ✓ Emploi de l'impératif à valeur d'encouragement : << prends >> ✔ Proposition incise avec le verbe « insista » qui montre la détermination de la mère à voir son fils accepter son << offrande ». Mais le caprice de Léo arrive bel et bien à son Il perdit le premier son sang-froid et éclata en terme. Il connaît une défaite. larmes. Idée de défaite suggérée par plusieurs éléments : son ✓ Emploi du verbe « perdit»: rappelle la confrontation qui s'était mise en place entre le fils et la mère dans le cadre du rituel du coucher, Confrontation rappelée également par l'emploi du terme « le premier »>. ✓ Réaction physique de Léo : « éclata en larm >> repris plus loin par « sanglotait »>. Léo est ainsi redevenu un simple enfant et il réagit en tant que tel face à l'échec de son entreprise. Perte du << sang-froid » qui le caractérisait lors de la répétition à l'identique, soir après soir, de la même demande. Mais... mais... je ne les aime pas ! sanglotait-il. Sa défaite est également consommée car il passe aux aveux en deux temps face à une mère plus que compréhensive. ✓ C'est pour toi, prends, insista ma mère. ✓ ✓ << Sido » se pencha, aussi attentive qu'au-dessus d'un œuf fêlé par l'éclosion imminente, au- dessus d'une rose inconnue, d'un messager de l'autre hémisphère : - Tu ne les aimes pas ? Qu'est-ce que tu voulais donc ? Il fut imprudent et avoua: - Je voulais les demander. »> Un aveu en deux temps: ✓ Hésitation avec la répétition de « mais » et l'emploi des points de suspension = déstabilisation de l'enfant qui ne s'attendait pas à une telle réaction de sa mère. Aveu final et explication du caprice : « Je voulais les demander »>. Sourire du lecteur qui découvre de la part de l'enfant une certaine impudence dans son caprice loin de l'image de petit garçon modèle qu'a Sido de son fils. ✓ Défaite définitive de Léo : « Il fut imprudent»> = il livre son secret à sa mère, secret qu'il ne pourra donc plus jamais utiliser contre elle. Réaction de Sido qui se veut particulièrement aimante et compréhensive et donc exceptionnelle : Elle apparaît comme un être généreux, patient et infiniment curieuse des êtres et des choses. Malgré cette provocation de son fils, elle reste fidèle à elle-même et veut comprendre emploi de phrases interrogatives « Tu ne les aimes pas ? Qu'est-ce que tu voulais donc ? ». Aucune colère, ni remontrance. Image d'une mère admirée et respectée par la narratrice: emploi des guillemets << Sido »>, comme si la narratrice transgressait une limite en désignant sa mère par le nom que seul son père employait. Image d'une mère aux multiples facettes présentée sous la forme d'une gradation ascendante: tout d'abord, « mère-poule » (« attentive au-dessus d'un œuf fêlé par l'éclosion imminente »), puis « mère Nature » (« au-dessus d'une rose inconnue >>), enfin << mère du Cosmos » (« d'un messager de l'autre hémisphère >>). Conclusion Bilan Ouverture En rapportant ainsi une scène d'enfance de son frère (sans doute connue au travers de récits rapportés), Colette crée un enchaînement de saynètes pleines d'humour et d'émotion, contribuant à forger et embellir la légende familiale. Mais elle rend aussi et surtout hommage à sa mère, une femme d'exception, curieuse du monde et des êtres. En ce sens, << Les Sauvages » constituent bien un volet de Sido, puisque l'autrice capte encore l'image de sa mère au travers de ce qui s'en reflète dans les êtres qu'elle a aimés. Le même principe est également employé dans la partie sur le « Capitaine » où celui- ci ne cesse de « contempler »> celle qu'il est le seul à nommer << Sido »>.