L'égoïsme généralisé et la conclusion morale
L'égocentrisme dans toutes les situations
Après la scène du repas, La Bruyère montre que l'égoïsme de Gnathon se manifeste partout :
Concept moral : La médiocrité morale de Gnathon réside dans son incapacité à vivre en société selon les règles de la bienséance, faisant de lui l'antithèse parfaite de l'Honnête Homme, cet idéal classique fondé sur la mesure et la considération d'autrui.
On observe plusieurs comportements répréhensibles :
- Son appropriation de tous les espaces : "il se fait, quelque part où il se trouve, une manière d'établissement"
- Ses caprices et mensonges : "il pâlit et tombe en faiblesse" pour obtenir la meilleure place
- Son exploitation des autres : "ses valets, ceux d'autrui, courent dans le même temps pour son service"
Une critique sociale sous-jacente
La Bruyère introduit subtilement une critique sociale :
- Gnathon possède des valets, suggérant qu'il appartient à une classe privilégiée
- Cette richesse contraste avec son absence totale de noblesse d'âme
- L'auteur critique peut-être une nouvelle aristocratie matérialiste, éloignée des valeurs chevaleresques
La pointe finale
Le portrait se termine par une gradation implacable dans l'égoïsme :
- "Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne"
- "Ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens"
- "Ne pleure point la mort des autres, n'appréhende que la sienne"
- Comble de l'égoïsme : "qu'il rachèterait volontiers de l'extinction du genre humain"
Conclusion et portée du texte
Ce portrait de Gnathon constitue un exemple parfait de la technique de La Bruyère :
- Un texte vivant et dynamique, sans description physique mais riche en actions
- Une caricature comique qui divertit le lecteur
- Une leçon morale implicite : ne pas être comme Gnathon
La force de ce portrait réside dans sa capacité à faire rire tout en dénonçant un vice moral profond. La Bruyère réussit ainsi à plaire et instruire placereetdocere, conformément à l'idéal classique.
Par ce texte, La Bruyère s'inscrit dans une tradition littéraire de dénonciation des vices humains, à l'image de Molière avec son Harpagon dans "L'Avare", autre figure emblématique de l'égoïsme pathologique.