Faut-il suivre la nature ?
Cette question philosophique fondamentale interroge notre rapport à la nature et les fondements de notre éthique.
Le précepte "suivre la nature" en question
Par souci d'authenticité ou de simplicité, on prône parfois une conduite plus naturelle. Mais est-ce vraiment un bon précepte de "suivre la nature" ? Y a-t-il un sens à prendre la nature comme un guide, voire comme un modèle à suivre ?
La critique de John Stuart Mill
Le philosophe John Stuart Mill apporte une réponse cinglante à cette question dans son essai "La nature" :
Citation: "Suivre la nature" est un précepte désastreux.
Mill s'oppose à ceux qui disent qu'il faut régler notre conduite sur la nature. Selon lui, cette opinion, bien que répandue, ne résiste pas à un examen rigoureux des différents sens du mot nature.
Les différents sens de "nature"
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L'idée de nature peut renvoyer au "système total des choses", c'est-à-dire à l'univers et à ses lois. Or, il est absurde de prescrire à l'homme d'observer les lois de la nature auxquelles il est de toute façon soumis.
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On peut aussi entendre "nature" par opposition à "artifice" : le mot désigne alors les "choses telles qu'elles seraient en l'absence d'intervention humaine".
Highlight: Mill souligne que la conformité à la nature n'a rien à voir avec le bien et le mal.
Les limites de la nature comme modèle
Mill pointe plusieurs problèmes dans l'idée de suivre la nature :
- La nature inspire certes de bons sentiments (sympathie, pitié), mais aussi de mauvais (égoïsme, méchanceté).
- Ces derniers semblent même être notre pente la plus naturelle et la plus facile.
- La bonne conduite requiert au contraire des efforts, voire des sacrifices.
Conclusion: Ce n'est donc pas la nature qu'il faut suivre, mais notre raison.
Pour Mill, la règle à observer prend la forme du calcul utilitariste : chercher toujours le plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre de gens.
Enjeux philosophiques
Le raisonnement de Mill sur les différents sens du mot nature montre que celle-ci ne fournit aucune norme de conduite. Mais doit-on aller jusqu'à dire qu'il faut aller à l'encontre de la nature, ou bien cette attitude prête-t-elle elle-même à des excès ?
La nature n'est pas une règle de conduite
Highlight: Il y a une confusion à supposer que ce qui se fait constituerait un modèle pour ce qui doit être fait (confusion entre le fait et le droit).
Si tel était le cas, on pourrait faire n'importe quoi et il serait inutile de nous donner des préceptes.
Exemple: Dans le Gorgias de Platon, le personnage de Calliclès qualifie les conventions de discours vains et "contraires à la nature" : il dit qu'il faut donner libre cours à ses penchants et s'efforcer d'être le plus fort pour écraser le plus faible. Socrate lui répond que c'est précisément pour éviter cela que nous avons la morale et les lois.
Il y a donc bien une contradiction à prétendre déduire ce qui est juste de ce qui est naturel. Rousseau nous met en garde contre cette erreur dans Du contrat social : non seulement la force ne fait pas droit, mais suivre ses penchants ne peut pas constituer une règle de conduite.
Citation: "Un être libre n'est pas l'esclave de ses impulsions, mais se fixe des règles et s'impose leur respect" (Rousseau).
S'arracher à la nature ?
On pourrait donc penser, à l'instar de Mill, que :
Citation: "Les attributs les plus respectables de l'humanité résultent non de l'instinct, mais de la victoire sur l'instinct" (La Nature).
Cependant, cette position soulève elle aussi des questions. Faut-il systématiquement s'opposer à la nature ? N'y a-t-il pas un juste milieu à trouver entre le naturalisme naïf et le rejet total de la nature ?
Ces questions restent ouvertes et continuent d'alimenter la réflexion philosophique sur notre rapport à la nature et à nous-mêmes.