Le discours accusateur de l'esclave
Le nègre de Surinam explique son état avec une résignation glaçante, utilisant l'expression "C'est l'usage" qui révèle comment la brutalité est devenue routine. Son discours, d'une simplicité déchirante, juxtapose les horreurs qu'il a subies : "On nous donne... on nous coupe... on nous coupe...".
L'esclave prononce alors la phrase la plus percutante du chapitre : "C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe". Cette formule incisive dénonce le décalage monstrueux entre l'insouciance des Européens et les souffrances des esclaves qui permettent leur confort. Voltaire transforme ainsi son personnage en porte-parole de tous les esclaves.
Avec une ironie mordante, l'esclave évoque les "fétiches hollandais" (les prêtres) qui prêchent que "nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs", soulignant le paradoxe entre le discours chrétien d'égalité et la réalité de l'esclavage. Son raisonnement logique ("nous sommes tous cousins") rend encore plus scandaleuse la contradiction : "Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible".
La puissance de ce réquisitoire contre l'esclavage tient dans sa progression subtile : de la description objective des supplices à une accusation morale et philosophique qui met en lumière l'hypocrisie d'une civilisation européenne se prétendant chrétienne et éclairée.