La déclaration d'amour et le projet poétique
Le poète rompt avec le consensus en déclarant son amour à la boue: "boue si méprisée, je t'aime". Cette déclaration est d'autant plus puissante qu'elle s'oppose frontalement à l'opinion commune. Ponge transforme la boue en figure féminine sublime, révélant sa beauté cachée à travers des images poétiques comme "ailes bleues" ou "l'azur agenouillé déjà sur ce corps limoneux".
Qui a inspiré Francis Ponge dans cette démarche? On peut penser à Baudelaire qui cherchait à voir "l'or dans la boue". Mais contrairement à lui, Ponge ne cherche pas à transmuter la boue en autre chose - il veut simplement nous faire voir sa beauté intrinsèque. C'est notre regard qu'il souhaite transformer, pas la matière elle-même.
La fin du poème révèle un aspect crucial du projet poétique de Ponge. Paradoxalement, il nie être poète ("si j'étais poète") tout en faisant œuvre de poésie. Il établit une analogie entre l'encre qui sèche sur le papier et la boue qui se fige, suggérant que son poème doit rester "inachevé" pour respecter la nature mouvante et insaisissable de la boue.
Ponge affirme son attachement à l'objet plus qu'au poème lui-même: "je tiens à elle beaucoup plus qu'à mon poème". Cette position révèle l'essence de son mouvement littéraire, qui prône un retour aux choses concrètes plutôt qu'aux abstractions. La poésie devient ainsi un moyen de changer notre perception du monde ordinaire, nous invitant à voir la beauté là où nous ne l'attendions pas.
🔍 La formule liturgique "Ainsi soit-il!" n'est pas anodine: elle fait référence à la boue comme matière primordiale de la Création, lui conférant une dimension presque sacrée.