Une ode amoureuse à la matière
Dans la deuxième partie du poème, Ponge change radicalement de ton et d'énonciation. Il s'adresse directement à la boue avec la répétition émotive "je t'aime", créant un chiasme saisissant: "boue si méprisée, je t'aime. Je t'aime à raison du mépris". Cette déclaration d'amour marque la singularité du poète face au rejet collectif.
Ponge transfigure poétiquement la boue, la présentant comme une créature merveilleuse aux "ailes bleues". Il joue avec sa nature même - née du mélange entre terre et pluie - pour créer une image sublime où "l'azur agenouillé" (le ciel) forme un couple avec "ce corps limoneux" (la boue). Les allitérations en "r" renforcent la musicalité de ce passage célébrant la beauté méconnue.
Dans la conclusion du poème, Ponge expose sa conception de la poésie. Paradoxalement, il refuse de se dire poète avec la formule "si j'étais poète", préférant rester fidèle à la nature mouvante de la boue plutôt que de la figer dans un texte achevé. Il affirme: "je tiens à elle beaucoup plus qu'à mon poème", montrant sa priorité pour l'objet réel plutôt que sa représentation.
Comprends bien! Les trois caractéristiques de la poésie de Francis Ponge sont visibles ici: son attention aux objets ordinaires, son travail sur le langage pour révéler leur essence, et son refus de figer cette essence dans une forme achevée. Comme Baudelaire qui l'a inspiré, il cherche à voir "l'or dans la boue", mais sans transmutation - la boue reste boue, c'est notre regard qui change.